mercredi 6 septembre 2017

HELENE

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1961-1969

Le Mas de Chanteloup



« Marraine Hélène
-         Peigne la laine
-         Ton tonton qui tond
-         Tes mil ’-trois moutons… »

Tôt ce matin, ayant préféré dévaler à pied la sente abrupte qui conduit à l’Isotte, le ru – en ce moment presque à sec, qui traverse leur propriété, les enfants jouent, courent et crient, tout au long de la berge sauvage à peine humide que rougissent les corolles des coquelicots nichés dans l’imbroglio des herbes folles – carex, grassettes, joncs, coucous, angéliques, achillées, menthes et parnassies, dont l’accablante sécheresse aura inexorablement flétri les enlacements.
Un reste d’eau languide – quelques grandes flaques entrecoupées de langues de vase moussues, clapote faiblement, en écho aux vifs propos qui s’entrecroisent sur l’allure convenue de la danse, ponctuant par à-coups la comptine et mêlant obstinément ses verts silences amers aux cascades sonores des rires innocents.
« Eglantine, capucine !
-         Margoton !
-         S’en visite la voisine
-         Potiron ! »
Les regards demeurent emplis du même azur tremblant que celui, têtu, d’un ciel qui reste au beau fixe, à l’exact surplomb du piémont, et des lumineux miroitements, en écho, de la rivière, plus basse, qu’il éclabousse de sa lumière crue, entre les îlots sablonneux qui se sont formés en son milieu :  une lueur intense, à peine bordée de l’or des chaudes nappes qui transpirent des dernières moiteurs nocturnes de la terre, tant l’atmosphère, depuis près d’un mois, reste implacablement suffocante : et tellement le passage des heures – que dénombrent les adultes,  s’avère insignifiant, pour ces petits qui jouent dans un éternel présent !
« Touché ! »
On s’égaille, on fuit le sorcier, cachés derrière les aulnes glutineux et les saules tortueux que domine, à l’arrière-garde, une rangée de hauts peupliers blancs, ou dissimulés sous la haie des jeunes noisetiers avec lesquels on se taille, pour de riantes parties, de si souples badines …

« Jean ! Hélène ! Guillaume ! Pierre ! C’est l’heure ! »
Après les protestations d’usage :
« Oh ! Encore un peu, maman ! »
Tout le monde remonte en chahutant vers le chemin où la deux-chevaux est arrêtée :
« Si vous voulez venir faire les courses avec moi, c’est tout de suite ou jamais ! »
Tempête Madeleine – pour la forme : en fait, même si elle est pressée – car le travail n’attend pas, c’est l’attendrissement maternel qui domine, avec la fierté et la satisfaction de pouvoir héberger dans ce havre de paix qu’est leur mas de Chanteloup, coiffant la Combe-Issarde et accroché à un flanc du Fournil-du-Paradis[1] - un mont rassurant, bien trapu et caverneux, qui domine très largement une alternance de pinèdes et de landes, tous les membres de sa famille, que la nature abrite si spontanément et s’évertue sans cesse, généreusement, à nourrir et réjouir.
Elle, elle n’aura pas eu le choix : à sa génération, on est paysanne de mère en fille, par état, tout naturellement, et instinctivement heureuse de son sort ! Madeleine n’imagine pas d’autre refuge pour sa descendance que la ferme multiséculaire dans laquelle elle-même est née, avant d’y avoir accueilli son mari, Christophe - le cadet d’une exploitation un peu en aval, dans laquelle l’aîné reprenait, avant d’engendrer, à son tour, la génération suivante.
Ensuite, elle sait si bien que le travail vient, patiemment, petit à petit : on l’apprivoise tout doucement, dès les premières années d’enfance, par à-coups, chaque fois que l’on est convié à aider, tout d’abord, puis à prendre sa part de responsabilités pleines et entières. Tout se déroule au rythme des saisons, sous une lumière ardente et crue, aux cymbalisations des cigales et dans les stridulations des hirondelles qui fendent les rares nuages, avec la benoîte périodicité d’une procession jamais interrompue…
« Qu’ils ne connaissent pas trop la ville ! »
Reste le souhait des parents, Madeleine et Christophe, respectueux tous deux de cette Tradition qui les aura inexorablement poussés à cultiver une campagne reculée – sans cesse âprement disputée à la forêt, en un lieu dont ils sont tous les deux originaires, dont ils savent le patois et déchiffrent aisément, aussi, les mythiques patronymes : La Malherbe, Les Perrières, Les Plans-du-Miroir, Les Tours-du-Diable …







[1] Les patronymes ont été travestis, pour conserver une portée générale.

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