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1961-1969
Le Mas de Chanteloup
« Marraine
Hélène
-
Peigne la laine
-
Ton tonton qui tond
-
Tes mil ’-trois moutons… »
Tôt
ce matin, ayant préféré dévaler à pied la sente abrupte qui conduit à l’Isotte,
le ru – en ce moment presque à sec, qui traverse leur propriété, les enfants
jouent, courent et crient, tout au long de la berge sauvage à peine humide que
rougissent les corolles des coquelicots nichés dans l’imbroglio des herbes
folles – carex, grassettes, joncs, coucous, angéliques, achillées, menthes et
parnassies, dont l’accablante sécheresse aura inexorablement flétri les
enlacements.
Un
reste d’eau languide – quelques grandes flaques entrecoupées de langues de vase
moussues, clapote faiblement, en écho aux vifs propos qui s’entrecroisent sur
l’allure convenue de la danse, ponctuant par à-coups la comptine et mêlant obstinément
ses verts silences amers aux cascades sonores des rires innocents.
« Eglantine,
capucine !
-
Margoton !
-
S’en visite la voisine
-
Potiron ! »
Les
regards demeurent emplis du même azur tremblant que celui, têtu, d’un ciel qui
reste au beau fixe, à l’exact surplomb du piémont, et des lumineux miroitements,
en écho, de la rivière, plus basse, qu’il éclabousse de sa lumière crue, entre
les îlots sablonneux qui se sont formés en son milieu : une lueur intense, à peine bordée de l’or des
chaudes nappes qui transpirent des dernières moiteurs nocturnes de la terre,
tant l’atmosphère, depuis près d’un mois, reste implacablement suffocante :
et tellement le passage des heures – que dénombrent les adultes, s’avère insignifiant, pour ces petits qui
jouent dans un éternel présent !
« Touché ! »
On
s’égaille, on fuit le sorcier, cachés derrière les aulnes glutineux et les
saules tortueux que domine, à l’arrière-garde, une rangée de hauts peupliers
blancs, ou dissimulés sous la haie des jeunes noisetiers avec lesquels on se
taille, pour de riantes parties, de si souples badines …
« Jean !
Hélène ! Guillaume ! Pierre ! C’est l’heure ! »
Après
les protestations d’usage :
« Oh !
Encore un peu, maman ! »
Tout
le monde remonte en chahutant vers le chemin où la deux-chevaux est
arrêtée :
« Si
vous voulez venir faire les courses avec moi, c’est tout de suite ou
jamais ! »
Tempête
Madeleine – pour la forme : en fait, même si elle est pressée – car le
travail n’attend pas, c’est l’attendrissement maternel qui domine, avec la
fierté et la satisfaction de pouvoir héberger dans ce havre de paix qu’est leur
mas de Chanteloup, coiffant la Combe-Issarde et accroché à un flanc du
Fournil-du-Paradis[1] -
un mont rassurant, bien trapu et caverneux, qui domine très largement une
alternance de pinèdes et de landes, tous les membres de sa famille, que la
nature abrite si spontanément et s’évertue sans cesse, généreusement, à nourrir
et réjouir.
Elle,
elle n’aura pas eu le choix : à sa génération, on est paysanne de mère en
fille, par état, tout naturellement, et instinctivement heureuse de son
sort ! Madeleine n’imagine pas d’autre refuge pour sa descendance que la
ferme multiséculaire dans laquelle elle-même est née, avant d’y avoir accueilli
son mari, Christophe - le cadet d’une exploitation un peu en aval, dans
laquelle l’aîné reprenait, avant d’engendrer, à son tour, la génération
suivante.
Ensuite,
elle sait si bien que le travail vient, patiemment, petit à petit : on
l’apprivoise tout doucement, dès les premières années d’enfance, par à-coups,
chaque fois que l’on est convié à aider, tout d’abord, puis à prendre sa part
de responsabilités pleines et entières. Tout se déroule au rythme des saisons,
sous une lumière ardente et crue, aux cymbalisations des cigales et dans les stridulations
des hirondelles qui fendent les rares nuages, avec la benoîte périodicité d’une
procession jamais interrompue…
« Qu’ils
ne connaissent pas trop la ville ! »
Reste le souhait des parents, Madeleine et Christophe,
respectueux tous deux de cette Tradition qui les aura inexorablement poussés à cultiver
une campagne reculée – sans cesse âprement disputée à la forêt, en un lieu dont
ils sont tous les deux originaires, dont ils savent le patois et déchiffrent aisément,
aussi, les mythiques patronymes : La Malherbe, Les Perrières, Les Plans-du-Miroir,
Les Tours-du-Diable …
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